Il y a 40 ans, le Mouvement de Libération des femmes (MLF) diffusait ce tract :
Qui doit décider du nombre de nos enfants ?Aujourd’hui, si nous avons obtenu ce droit, 40% de la population mondiale vit dans des pays dans lesquels l’avortement est soit interdit soit fortement restreint. Dans les autres pays, les attaques sont fortes, de la montée de l’ « objection de conscience » à la fermeture des centres IVG, et les événements récents en Turquie doivent nous rappeler que le droit à l’avortement n’est jamais totalement acquis.
- Le Pape qui n’en a jamais eu ?
- Le Président qui a de quoi élever les siens ?
- Le médecin qui respecte plus la vie d’un fœtus que celle d’une femme ?
- Le mari qui leur fait guili guili le soir en rentrant ?
- Nous qui les portons et qui sommes actuellement obligées de les élever ?
Chaque année, 22 millions de femmes sont obligées de se faire avorter de manière clandestine, avec les moyens du bord et avec des conséquences dramatiques. L’Organisation mondiale de la santé estime que 47 000 en décèdent chaque année, ce qui correspond à près de 15% de la mortalité maternelle dans le monde.
Avec des chiffres aussi dramatiques, il a paru logique à l’OMS de publier en 2012 une recommandation officielle incitant les Etats à légaliser l’avortement. Mais l’OMS a peu d’influence politique, et le combat fait rage au sein de l’ONU.
Une régression dans les négociations internationales
Il y a quelques semaines, lors de Rio + 20, la conférence de l’ONU sur le développement durable, le Vatican et ses alliés sont parvenus à faire retirer du texte final la mention de « droits reproductifs ». C’est un retour en arrière considérable.
Au Caire, en 1994, les Etats membres de l’ONU avaient explicitement affirmé leur engagement en faveur des droits reproductifs et affirmé que « Toute couple et tout individu a le droit fondamental de décider librement et en toute responsabilité du nombre de ses enfants et de l’espacement de leur naissance, et de disposer de l’information, de l’éducation et des moyens voulus en la matière ».
Malheureusement, suite aux efforts du Vatican et de ses alliés, le texte précise que les lois sur l’avortement sont l’affaire des Etats : « Toute mesure ou toute modification relatives à l’avortement au sein du système de santé ne peuvent être arrêtées qu’à l’échelon national ou local conformément aux procédures législatives nationales ».
Le Plan d’action du Caire engage donc seulement les Etats à gérer les soins post-avortement : « Dans les cas où il n’est pas interdit par la loi, l’avortement devrait être pratiqué dans de bonnes conditions de sécurité. Dans tous les cas, les femmes devraient avoir accès à des services de qualité pour remédier aux complications découlant d’un avortement. »
Caire+20, post-OMD, 5ème conférence mondiale des femmes : les enjeux des prochaines années
Les deux prochaines années seront capitales pour garantir les droits reproductifs au niveau international ou au contraire renier les droits des femmes à disposer de leurs corps.
La guerre qui s’engage avec les anti-choix aura plusieurs terrains de bataille.
En 2014, la conférence du Caire + 20 qui fera le bilan des avancées du plan d’action du Caire et verra soit la reconduction des engagements des Etats soit sa remise en question.
En 2015, la probable Conférence mondiale des femmes, qui fera écho à la conférence de Pékin qui avait eu lieu en 1995 et avait permis un engagement des Etats sur de nombreux aspects relatifs aux droits des femmes,
Et enfin, en 2015 également, le sommet mondial sur le développement, qui fera le bilan des OMD et lancera de nouveaux objectifs, sans doute des ODD (objectifs de développement durable).
L’influence du Vatican dans les négociations internationales
Le Vatican a un statut d’observateur à l’ONU, ce qui ne l’a pas empêché à la conférence de Rio+20 de faire jouer toute son influence, notamment auprès de la coalition du G77, qui regroupe une grande partie des Etats africains et asiatiques.
Le Vatican est donc un Etat non membre de l’ONU qui a obtenu le statut d’observateur permanent dès 1964 et influence les négociations à l’ONU de manière de plus en plus efficace et avec toujours plus de moyens. Les autres religions participent à l’ONU comme les autres entités qui ne sont pas des Etats, c’est à dire au même niveau que les organisations non-gouvernementales.
Le combat se situe clairement au niveau des éléments de langage et ne s’arrête pas à bloquer le droit à l’avortement, loin de là. Le Vatican défend uniquement les « méthodes naturelles » de planning familial, considérant que « en matière de ‘planning familial’, le Vatican n’accepte en aucune façon la contraception ou l’utilisation de préservatifs ».
Le pape Jean Paul II avait décrit la conférence du Caire de 1994 comme étant « l’œuvre du diable » et parlait d’un « complot pour détruire la famille ». Peu de temps avant la conférence de 1994, le Vatican avait envoyé des représentants en Iran et en Libye afin de créer avec ces pays une alliance pour refuser le terme de droits reproductifs qui devait être discuté lors de la conférence du Caire.
Il avait également fait alliance avec des organisations islamiques comme l’American muslim council.
Ces dernières années, le Vatican a également multiplié les formations des gouvernements de nombreux pays, notamment en Afrique, l’occasion pour eux de convaincre ces Etats de leur vision de la famille et des droits des femmes et d’influencer fortement les politiques nationales et les positionnements internationaux de ces pays.
Quelle offensive féministe ?
Les droits des femmes ont souvent été dépolitisés dans la sphère onusienne, au profit d’une intégration « techniciste » du genre et bien souvent d’une instrumentalisation des femmes pour le développement ou pour des enjeux diplomatiques.
Cette dépolitisation est réelle et nombre d’entre nous se posent légitimement la question d’investir ou non cet espace, notamment avec la perspective d’une 5ème conférence mondiale des femmes en 2015. Mais avant cela, ce sont nos droits reproductifs qui risquent d’être renégociés, et ne pas investir cet espace, c’est le laisser aux anti-choix.
Plusieurs éléments nourrissent habituellement les positionnements individuels sur l’avortement. Celui-ci va à l’encontre d’une image normative dominante de la sexualité et de la maternité ; des clichés sur l’avortement sont répandus, comme celui selon lequel il est mauvais pour la santé ; nombreux sont ceux qui attribuent une vie au fœtus dès la conception ; et enfin les restrictions légales achèvent de convaincre toutes celles ou ceux qui refusent d’aller contre la loi ou de la remettre en question.
Les anti-choix utilisent largement tous ces éléments car l’outil le plus efficace pour saper tout soutien à l’avortement est de lui donner une image négative et de jouer sur la culpabilisation des femmes y ayant recours.
Pour faire reculer l’influence du Vatican et des anti-choix, il faut donc être en mesure de déconstruire cette vision et de faire entendre une voix différente, celle des droits des femmes, de la liberté et du choix en matière de sexualité et du droit à disposer de son corps. Et qui mieux que les féministes peut porter ce discours ?
Renforcer les liens entre les mobilisations féministes nationales
Les mobilisations féministes sur le droit à l’avortement sont très nombreuses, et nous pouvons citer les dernières en dates, celles des féministes américaines face à l’offensive anti-choix du parti Républicain pendant la campagne pour les présidentielles ; ou encore celles des féministes turques, qui ont réussi il y a quelques semaines à faire reculer partiellement le gouvernement qui souhaitaient réduire à 4 semaines le délai pour avorter, ce qui équivaut dans la pratique à une interdiction de l’IVG. En France, nous nous mobilisons face à la fermeture de nos centres IVG ; au Brésil, les féministes ont récemment obtenu la légalisation de l’avortement en cas de risque de santé.
Partout nous, féministes, défendons notre liberté à disposer de notre corps, partout nous disons « mon corps m’appartient ! ». Il est temps de le faire entendre à l’ONU, d’investir l’international au-delà de la solidarité entre féministes.
Solidarité, sororité, efficacité
Nous défendons toutes le même droit, la même liberté, celle de faire nos propres choix par rapport à notre corps, libérées de l’Etat, de la religion, de la famille et du marché. Alors agissons ensemble, parce qu’au-delà de la solidarité, il s’agit de sororité !
Ces deux prochaines années, nous avons la possibilité de faire avancer le droit à l’avortement au niveau international, tout en faisant reculer l’influence des lobbies pro-choix conduits par le Vatican. Ces deux prochaines années, nous pouvons aller plus loin que la solidarité internationale.
Nos droits en tant que femmes dépassent nos nationalités, ils sont universels, ils doivent donc être garantis comme droits universels. Parce que nous sommes des féministes universalistes, faisons du droit à l’avortement un droit humain universel !
Je terminerai sur ces paroles empruntées au MLF : « être mère est un droit, ce n’est pas un devoir. La maternité forcée nous rend serves, nous exigerons la contraception et l’avortement libres et gratuits qui contribueront à nous rendre libres ».
Oui, il s’agit bien d’un combat pour la liberté, alors menons-nous ensemble !
Quelques références
Catholics for choice, briefing paper, The Vatican at Rio+20 : what is at stake ?, 2012
Malka Marcovich, Les Nations DésUnies, 2008
Jules Falquet, De gré ou de force. Les femmes dans la mondialisation, 2008
Gail Pheterson, Femmes en flagrant délit d’indépendance, 2010
Cahiers du Genre, Religion et politique, 2012
Lisa Smyth, “Feminism and abortion politics: choice, rights and reproductive freedom”, in Women’s studies international forum, volume 25, issue 3, may-june 2012
Arlette Gautier, Genre et biopolitiques : l’enjeu de la liberté, 2012
MLF // textes premiers, 2009
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