Au cours de la dernière décennie, une femme sur trois a été mariée avant l'âge de 18 ans. Au Niger et au Mali, c'est le cas de trois femmes sur quatre. Le mariage des enfants, je/vous/nous sommes contre. Mais pour quelles raisons ?
Sollicitez le corpus international des droits fondamentaux, vous ne convaincrez pas pour autant cette mère qui vient de marier sa fille de 15 ans, ce père qui a négocié le mariage de sa fille de 16 ans avec le fils d'un voisin, ni cette famille qui a enfermé sa belle-fille pour l'empêcher de s'échapper.
Arguez des risques pour leur santé, vous serez davantage écouté-e. Qui dit mariage précoce, dit grossesse précoce. Or les complications liées à la grossesse ou à l'accouchement sont la première cause de décès chez les jeunes filles âgées de 15 à 19 ans dans les pays en développement. Les filles de moins de 15 ans, quant à elles, ont cinq fois plus de risques de décéder de leur grossesse que les filles de 20 à 24 ans.
Bien souvent, une fois mariées, les jeunes filles ne sont plus considérées comme des enfants. Le terme de mariage des enfants n'a donc aucun sens. Et ne véhiculons nous pas nos propres normes en voulant imposer notre définition de l'enfance ? Le rejet de l'idéologie occidentale guette constamment les défenseurs des droits humains, les obligeant à revoir leur stratégie.
Pour convaincre vos interlocuteurs-trices, vous parlerez donc de « mariage précoce ». Ce faisant, vous véhiculerez vous aussi des normes, et une idéologie qui n'a rien de féministe : il y aurait un âge pour se marier.
Conflit de normes
Telle qu'elle est abordée aujourd'hui, la question du mariage précoce révèle un conflit de normes, dont le nœud est l'âge auquel il serait bon de se marier. Les critères varient selon les camps.
Pour les défenseurs du mariage précoce, il s'agit de protéger les jeunes filles des risques de grossesses précoces. C'est la raison avancée par des nombreux parents souhaitant marier leur fille. Leur préoccupation est également d'assurer le respect des règles sociétales pour lesquelles les relations sexuelles et les grossesses hors-mariage sont « hors normes » : « Mieux vaut un mariage précoce qu'une débauche précoce ». Dans cette optique, il y a d'un côté les femmes saines, réservant leur sexualité à l'accomplissement d'un devoir conjugal destiné à l'enfantement ; et de l'autre les « filles de mauvaise vie », ayant des relations sexuelles uniquement pour leur plaisir sans s'encombrer du mariage, ce qui n'est pas socialement acceptable.
Pour les opposants au « mariage précoce », il s'agit de protéger les jeunes filles contre une pratique qui nie leurs droits fondamentaux et met en danger leur santé. L'argument majeur est qu'avant 18 ans, il ne peut y avoir de consentement libre et éclairé au mariage, car la jeune fille est alors une enfant et n'est pas prête pour se marier. L'ONG World Vision le dit clairement avec le titre de son rapport sur le mariage précoce : « Before she is ready ». La jeune fille se mariera donc plus tard, une fois ses études terminées, et elle fera des enfants, « parce qu'elle est une fille », comme le montre (sans le vouloir?) le clip de sensibilisation « The girl effect » de la campagne Because I am a girl. Une norme est remplacée par une autre.
Consentement libre et éclairé
Que dit-on lorsqu'on parle de mariage précoce ? On prétend qu'il y a un âge à partir duquel nous sommes en mesure de formuler un consentement libre et éclairé.
Mais peut-on se prétendre libre, alors que nous baignons dans les normes sociales ? Mes propos ne sont pas que rhétoriques. Il s'agit d'un des fondements des questionnements féministes. Selon moi, le combat féministe est un combat pour la liberté. Liberté de pensée, liberté de choix. Nous menons ce combat parce que nous savons à quel point les normes sociales limitent notre liberté.
Règle sociétale par excellence, le mariage, pour de très nombreuses femmes, n'est pas un choix libre. Il s'agit souvent d'un choix éclairé, car de nombreuses femmes font ce choix en dépit d'autre chose et en sachant tout ce qu'il pourra leur apporter : un statut, une reconnaissance sociale. Parce que, dans de nombreux pays, une femme non mariée n'a pas de statut social, de même que la femme veuve perd son statut au décès de son mari.
Déconstruire les normes ou limiter les dégâts ?
Nous touchons là à l'une des questions récurrentes du genre dans le développement : est-il plus efficace de lutter contre l'une des conséquences de l'inégalité de genre en cherchant à déconstruire les normes qui la sous-tendent ou en montrant que cette pratique est néfaste au développement ? En effet, les discours tenus dans les projets de sensibilisation sur le mariage précoce montrent bien que l'on peut obtenir l'adhésion d'une communauté sur les dangers du mariage précoce pour la santé, sans remettre en question la place du mariage dans la société ni les inégalités hommes-femmes qui le sous-tendent. Est-ce efficace à long terme ? C'est toute la question.
Choisissez le terme de mariage des enfants ou celui de mariage précoce, ce sera un choix idéologique. Préférez l'un ou l'autre de ces termes selon votre interlocuteur-trice, vous ferez un choix stratégique.
NDLR : Retrouvez plus d'information sur le mariage des enfants sur le site de la campagne Girls not Brides
Quelques éléments sur les enfants-épouses http://susaufeminicides.blogspot.fr/2012/02/petites-bonnes-petites-epouses.html
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